What do people say

Remarkable, how it manages to open perspectives, to make real our desires to escape.
Marc Dugardin
Poet
Although his paintings are strikingly true, sometimes photographic, they have a very personal style, a gentle and humble poetry, a luminous familiarity that brings a deep sense of well-being.
Michel Ducobu
WRITER

Bert Mertens: peindre la poésie du réel

Le peintre Bert Mertens porte un regard faussement objectif sur le réel, le quotidien, l’entourage des choses et du monde. Dans chacune des peintures qu’il nous en donne à voir, il y a un déchiffrement de l’immédiat et de sa complexité. Ainsi, un alignement de verres sur la console d’un bar, une succession de chaussures dans un étalage, le troublant reflet de la rue dans une vitre, tout semble matière à éveiller l’émotion du peintre qui nous en restitue une réalité plus intense. Sans doute cette sensation de “sur-réel” vient-elle de notre curiosité à regarder ce qui nous est montré, à déplacer les yeux en chaque endroit de la toile, à en examiner les détails. Pourtant, combien de fois sommes-nous passés devant des coins de rue, des garages, des entrepôts sans y prêter attention.

En reconstituant dans ses tableaux ces instantanés qui nous échappent, l’artiste nous offre le partage de cette émotion dont le quotidien est porteur; nous révèle ce que seul le geste du peintre ( ou du photographe) peut restituer: cette éternité de l’instant que l’art nous permet de débusquer. Mertens semble nous dire que rien n’est indigne d’être vu et, pour nous le démontrer, reconstitue avec minutie ces fragments de quotidien auxquels il donne, sur la toile, une nouvelle dignité. Il s’agit parfois de plans d’ensemble ( comme le garage de Bruno, surencombré d’accessoires, d’outils, de carcasses métalliques) ou de détails pris au plus près ( comme ces filets de pêche ou ces algues). Chaque fois, le spectateur est happé par ce qui lui est donné à voir.

L’exploration de l’oeuvre est chaque fois une source de surprise, d’émotion, de poésie. Car c’est bien de cela qu’il s’agit: porter un regard de poète sur le réel pour en faire oeuvre. Et Mertens en est devenu, en quelques années seulement ( il a débuté sa “troisième  vie”, celle d’artiste, en 2018!), un incontestable exemple de sa maîtrise, l’intensité de son art et de cette grâce qui semble émaner de chacune de oeuvres.

Jean Jauniaux, le 28 septembre 2022

L’ivresse des livres, 29 septembre 2022

 

Rencontre avec Bert Mertens

Un parcours d’artistes, WeArtXL, à Bruxelles, en septembre dernier, une découverte et une surprise de taille: un peintre autodidacte qui présente des portraits, des paysages, des natures mortes d’une grande beauté, simple et apaisante. Nous rencontrons Bert deux mois plus tard, dans son atelier minuscule, à deux pas de l’Avenue Louise. Son parcours n’est pas banal. Toute une carrière professionnelle sans peindre, et puis, un jour de fête, une sorte de miracle se produit: un don d’enfance ressurgit et c’est une nouvelle vie, une vie d’artiste qui commence.

Dès l”enfance, j’ai eu un tempérament artiste, même si cela s’exprimait au départ par des croquis de paysages de vacances et la calligraphie. J’ai toujours été interessé par l’art.Une fois ma vie professionnelle arrivée à son terme, je me suis spontanément remis au dessin, puis j’ai eu envie de couleurs et j’ai tenté la peinture à l’huile. En moins de trois moi, j’ai atteint à un degré de maîtrise technique que beaucoup ont estimé incroyable, mais ce n’est pas sans travail que j’y étais parvenu. Je suis de nature perfectionniste et j’aime avancer à un rythme soutenu. Je n’ai pas suivi d’écolage en académie mais je me suis beaucoup documenté et j’ai suivi l’exemple de ceux que j’estime être des grands peintres

A première vue, on retrouve les peintres hyperréalistes des années 60-70, l’une ou l’autre scène américaine de Hopper ou de Hockney, on se dit qu’on est tout près, à quelques centaines de mètres, de la fameuse galerie d’art Isy Brachot, à Ixelles, où est né le mot qui fit fureur en son temps, on pourrait penser que tu en es un peu l’héritier nostalgique, et puis on observe bien que s’il y a cette influence esthétique chez toi, elle n’est pas prédominante. Si tes huiles sont frappantes de vérité, parfois photographiques, il s’en dégage une manière très personnelle, une douce et humble poésie, une familiarité lumineuse qui procure un profond bien-être. Tu n’as pas choisi par hasard le poème de Keats comme enseigne ou comme devise… Une chose de beauté, l’âme des choses en est la source.

Je pratique un art figuratif quasi photographique mais je ne partage pas les objectifs dénonciateurs de certains hyperréalistes. Vous avez raison de pointer l’art américain, mais je ne me sens proche ni de Hopper ( assez sombre) ni de Hockney, bien plutôt de la sensualité de Singer Sargent et du sourire de Rockwell. Comme eux, j’aime d’ailleurs pratiquer l’art du portrait, qui est si exigeant. Si je suis héritier, c’est de Keats, qui souligne le caractère intemporel de le beauté pour ceux qui peuvent se mettre en disposition d’accueil pour elle. Car c’est avant tout une question de regard. On peut trouver la beauté en toutes choses, mêmes les plus quotidiennes: une tasse, une voiture;; C’est se que je traduis dans ma peinture par le choix des couleurs, des lumières, parfois par un changement d’échelle qui fait apparaître un objet d’une manière inédite.

Un tableau m’a particulièrement frappé: ‘Happy-go-lucky’. Il diffuse une atmosphère de bonheur, une possibilité de vie douce, si je reprends les termes de Myriam Watthee-Delmotte, qui est la première à avoir écrit sur ton travail. Ce n’est pas courant, de nos jours, de peindre la sérénité, le charme discret de la vie quotidienne, la séduction même de la banalité… On n’est plus à l’époque des insouciances parfois spectaculaires des impressionnistes…

Aujourd’hui, le stress généralisé empêche de prendre le temps de s’arrêter pour regarder vraiment les êtres et les choses, ou pour réfléchir. Je veux, au contraire, en traitant des sujets qui émeuvent, incitent à la tendresse ou invitent au jeu, proposer une alternative à la médiocrité, à la brutalité qui occupent trop exclusivement notre horizon. C’est une question d’équilibre.

Tu pratiques aussi l’abstraction lyrique, un certain onirisme proche du surréalisme, et même la calligraphie, aux antipodes de la haute technicité ou de la virtuosité illusionniste que reclame le photoréalisme…. La peinture, à tes yeux serait-elle surtout un art de vivre, de cultiver te envies, d’éxercer ta liberté, le ‘quiet morning’ de chaque jour, de rêver de la possibilité d’une île dans notre monde tempétueux?… Cherches-tu encore un geste esthétique ou la règle du jeu sera-t-elle de te laisser guider par la seule beauté du sujet ou la valeur secrète des choses de la vie?

J’aime le trompe l’oeil, les fausses pistes, les traits d’humour, l’espièglerie, les effets de surprise, mais je ne revendique pas l’étiquette du surréalisme. Je ne cherche aucun genre. Je ne bride pas ma créativité qui peut s’épanouir dans l’abstraction autant que dans la figuration la plus minutieuse, ou dans la calligraphie qui est tout aussi technique que l’art figuratif. Je pratique un art d’authenticité qui n’est soucieux ni des écoles, ni des modes, seulement de la qualité de regard et de l’exécution.

Propos recueillis par Michel Ducobu  – Reflets Novembre 2021